Vendredi, 18 Janvier 2013 11:44

envoye-special-tunisieLe reportage intitulé «la Tunisie sous la menace salafiste», diffusé dans la soirée du jeudi 17 janvier par la chaîne France 2 dans le cadre de l’émission «Envoyé Spécial», aura suscité une vive polémique. La tempête s’est déclenchée sur les réseaux sociaux.

La page Facebook du programme a été la cible de centaines de trolls tunisiens, décidés à réagir avec une avalanche de commentaires, selon un schéma désormais bien rôdé.

C’est qu’en l’occurrence, l’image projetée de la Tunisie auprès de millions de téléspectateurs, ne fera certainement pas l’affaire de notre pays, qui dépense des milliards en communication pour tenter d’attirer de nouveau les touristes européens.

Sur la page consacrée à ce programme TV sur Facebook, un internaute tunisien écrira «inutile de vous dire que tout ce qui pouvait avoir du sens a été laissé de côté, pour que l'accent soit mis sur ce qui conforte le téléspectateur français et francophile dans ses convictions, ses peurs et ses illusions». Un autre relèvera cependant que  «pour comprendre l’enjeu, il faut identifier la source de l'info, (…) dans le cadre justificatif de la guerre sur Le Mali et autre pays potentiels».

La source de l’info ? C’est France 2. Une chaîne du service public, relevant du groupe France Télévision, dont le capital est exclusivement détenu par l'État français. Faudrait-il donc voir l’influence de dirigeants politiques, décidés à pointer du doigt l’ennemi, et accessoirement remonter le moral des troupes alors qu’il lance son offensive au Mali ? C’est en tous cas une opinion largement répandue en Tunisie. D’autant plus que l’image présentée paraît plutôt caricaturale.

L’image de la France en question
Imaginons un instant ce que donnerait un reportage sur la France, qui se focaliserait sur les cages d’escaliers des HLM des banlieues parisiennes. Avec un zoom envoye-special-tunisiesur les émeutiers de Villiers-Le Bel, par exemple, avec les voitures enflammées par centaines. Et pour booster encore plus l’audience, des séquences reconstitueraient le calvaire des adolescentes victimes de viols collectifs, lors de ces fameuses «tournantes». Question droits de l’Homme, on se contenterait de rappeler ce qui a filtré dans les «grands» journaux parisiens, faisant état de bébés arrêtés par la police française pour mendicité, ou d’enfants emmenés au commissariat parce que leurs parents n’ont pas pu payer la facture de la cantine municipale. Certes, on ne saurait réduire la France à ces phénomènes, pourtant de plus en plus courants. Mais en donnant une image tronquée de notre pays, n’est-ce pas dans ce même travers qu’est tombé «Envoyé Spécial» au cours de cette émission visant la Tunisie ?

«Des médias tunisiens font pire»
Non, répondront d’autres internautes tunisiens. Un commentateur déclarera même, «ne pas comprendre ce qui choque nos compatriotes», puisque, selon lui, «les faits parlent d'eux-mêmes». Il précise même que «les Tunisiens semblent dérangés, parce que ce sont des français qui ont fait ce reportage», avant de souligner que «Ettounissia, et Nessma TV ont produit pire comme reportage, pourtant personne ne s'est indigné». En clair : «ce n'est pas la faute au reportage, mais la situation est bien alarmante». Alarmante ? Sans doute.

Mais la situation de notre pays était-elle plus reluisante à l’époque où des milliers de Tunisiens croupissaient en prison, et étaient torturés pour leur opinion ? Comment justifier que sous l’ère de Ben Ali, les médias français étaient plutôt avares en critiques ?

frederic-mitterrandEn ce temps-là, des journalistes et des hommes de culture comme Frédéric Mitterrand multipliaient les assauts d’amabilité, les offensives de charmes, émerveillés par le parfum du jasmin et la blancheur des maisons d’Hammamet. Les producteurs tv se bousculaient pour louer le charme bleuté de nos villages pittoresques, à l’ombre du bougainvillier.  

Or paradoxalement, la Tunisie libérée de la dictature ne trouve plus autant de défenseurs de l’autre côté de la Méditerranée. Serait-ce à cause de la dissolution de la défunte ATCE, et de la disparition des séjours tous frais payés ?

Liberté de la presse ? Les Tunisiens, n’auront pas oublié que le reportage consacré à Jénine, cette ville palestinienne quasiment rasée de la carte par les bombardements sionistes, aura été déprogrammé in extremis par la chaîne Arte, en avril 2003. Or la chaîne en question est elle-même détenue à  hauteur de 45% par France Télévisions, et à 25% directement par l’Etat français. Mais France Télévisions n’aura visiblement pas les mêmes scrupules quand c’est de la Tunisie qu’il s’agit.

Certes, la menace des extrémistes est réelle. Et l’intervention militaire française risque même de l’exacerber. L’extrémisme, le terrorisme sont une réalité qu’il serait vain de nier. Les groupuscules djihadistes  font des dégâts en Tunisie. Et ils assument même une grande part de responsabilité dans la diffusion de ce reportage français.

Mais la société tunisienne est plus mobilisée que jamais. Des artistes déploient toute leur créativité, pour mettre en scène des œuvres qui mettent en pièces l’obscurantisme, faisant voler en éclats les clichés éculés. Pour faire de la Révolution une explosion de couleurs sur leur chevalet. Des galeries d’art s’ouvrent, malgré les menaces et les attaques des salafistes iconoclastes. De nouveaux chanteurs, issus de l’underground interdit sous Ben Ali accèdent à la célébrité, avec la reconnaissance de l’unanimité.

Mais toute cette effervescence culturelle et sociale, la télévision française préfèrent la zapper. A croire qu’ils préfèrent nous voir «chanter et danser» sous la menace de la police politique pour amuser les touristes…

Oualid Chine

La Tunisie vue par France Télévisions
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