Lundi, 11 Juin 2012 00:49

art-fair tunisieCe dimanche, dimanche 10 juin au palais El Abdellia, à La Marsa , des salafistes ont tenté d’envahir la galerie où a lieu «Le Printemps des Arts» dont l’ouverture a pourtant été annoncée dès le 1 juin. Et pour cause. Les arts plastiques sont par essence anti-salafistes. Les miniatures persanes d’inspiration chiîte, comme le cubisme, l’impressionnisme tout comme l’hyper-réalisme sont catalogués blasphémateurs par la rigidité doctrinale du wahhabisme.

Alors que la Tunisie semble se perdre face aux assauts afghans, voici que des artistes tunisiens, des peintres, paraissent faire acte de résistance, et repousser les limites, que certains voudraient leurs imposer. Parce que la provocation reste l’une des principales vocations de l’Art, cet empêcheur de penser en rond. Mais le coup de pinceau fût-il rageur, ferait-il le poids face aux adeptes du Zmaqtel, et autres disciplines guerrières ? C’est ce que l’on va voir.

Remettre en cause l’ordre établi
Un monstre barbu aussi délicieusement que délictueusement coloré, semble exploser la toile en autant de bulles de bandes dessinées. Une femme, se servant d’un plat de couscous comme d’une feuille de vigne, entourée de sombres démons, s’adresse dans sa nudité, directement à notre imaginaire, à nos rites magico-religieux ancestraux. Une profondeur vertigineuse initiée par le contraste clair-obscur d’une image qui semble, à elle seule, transfigurer les rapports hommes-femmes, remettre en cause l’ordre que voudraient imposer les tenants de l’obscurantisme. Une installation symbolisant la lapidation, qui semble également chercher son inspiration dans les jardins Zen japonais, trônera au cœur d’une salle, comme un appel à l’aide étouffé. L’art peut aussi être engagé. Plus clair encore, dans sa simplicité lapidaire, un tableau décliné en quatre parties s’en prendra de manière aussi percutante qu’originale, à la fois à la troïka, et à l’opposition, jugée inexistante.

art-fair tunisie

Sur les réseaux sociaux, certains sympathisants d’Ennahdha ont vite compris tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de cette affaire. Ils ont ainsi diffusé des photomontages, rajouté des tableaux qui n’étaient pas exposés lors de cet événement, pour le décrédibiliser et le livrer à la vindicte des Facebookeurs. Ainsi, on a vu circuler une «œuvre» mettant en scène de manière sommaire le Prophète chevauchant El Bouraq, en survolant la Kaâba. Alors que cette image n’a aucun rapport avec l’exposition. On a également pu apercevoir circulé un slip accroché à une plaque de plexiglas avec des pinces à linge. Là aussi, il s’agit d’une intox caractérisée. La lingerie, fusse-t-elle de luxe n’a en effet pas été exposée à El Abdellia.

«Sobhann Allah»
Or les apprentis salfistes n’avaient pas besoin de se donner autant de peine. En effet, un tableau accroché en bonne place,  retranscrivait en arabe les mots «Sobhann Allah», avec des lettres formées par des insectes. La dernière lettre faisant office de corde tendue pour pendre un personnage. Difficile d’accéder à un quelconque second degré. Autant dire que ce tableau a été voué aux gémonies sur les réseaux sociaux. Mais est-ce vraiment une surprise ? Pis : un artiste européen ou américain pourrait-il ainsi s’en prendre de manière aussi frontale à la Torah même dans des temples de l’art et de la culture contemporaine comme le Museum of Modern Art, le fameux MoMa de New-York ? Le Centre Pompidou de Paris, se permettrait-il d’exposer une œuvre détournant l’étoile de David ? Pourrions-nous imaginer des artistes allemands tourner en dérision la tragédie du Holocauste, ou des Français mettant en scène de manière caricaturale la Rafle du Vel d’Hiv ? Disposerions-nous réellement, dans la Tunisie de la Révolution, d’une marge de liberté plus large que celle des Américains, et autres Européens ? Ou faut-il se résoudre à assister à la rupture consommée entre les artistes tunisiens exposant dans les banlieues huppées, et leur propre société ?

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L’inacceptable violence
Karim Ben Smail, directeur des éditions Cérès, écrit à cet égard : «L'enjeu peut sembler dérisoire, (…) certains trouveront même des justifications "ils ont exagéré, nous sommes un pays musulman". Mais ne nous y trompons pas, c'est l'avenir du pays qui se joue dans ces micro-affrontements: l'enjeu est majeur, c'est celui de la sécurité des individus. Si l'Etat tolère qu'un millier de voyous envahisse des locaux municipaux et touche aux propriétés privées alors nul n'est à l'abri de ces excités. Ni nous, ni nos biens, ni nos enfants. N'importe quel bandit de quartier ou ex voleur à la tire pourra se cacher derrière une barbe et imposer sa loi débile. Le rôle de l'état est d'y mettre un frein ferme et immédiat».

Il est clair que dans un Etat de droit digne de ce nom, la force publique est à l’usage exclusif des seules autorités légitimes. Les dépassements devenus courants sont inacceptables quels qu’en soient les auteurs. La police a pu, en fin d’après-midi, s’opposer aux salafistes, qui ont même dû finalement battre en retraite. Le «Printemps des Arts» a bien eu lieu. Mais l’Art tunisien peut-il pour autant crier victoire ? Aux dernières nouvelles, selon le portail Nawaat citant les propos de Jérôme Benoit, l’un des responsables au Palais Abdellia, «vers 1 heure du matin les salafistes ont pu finalement s’infiltrer au palais, ils ont tagué les murs et à l’intérieur ils ont lacéré une dizaine d’ouvres». Mais… A qui profite le «crime» ? Aux salafistes, qui ont montré une nouvelle fois de quoi ils sont capables ? Au camp «progressiste», qui a pris fait et cause pour les artistes ? Aux peintres eux-mêmes, qui ont (pour une fois) bénéficié d’une couverture médiatique inespérée ? Ou… à Ennahdha ? S’agirait-il de tourner un remake de Perspeolis, au moment même où des activistes de la société civile tentent de faire la lumière sur le procès des Martyrs de la Révolution ?

Soufia Ben Achour

Crédit photos: Wassim Ghozlani

Tunisie : A qui profite l’expo d’El Abdellia ?
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