Les beats hip hop invitent le peuple palestinien à s‘exprimer. Ils s’assemblent livrant ainsi un rare témoignage d’une souffrance aussi ancienne que persistante, aussi rageuse que résistante. Dj Nire en fait une performance : «Tribute de Gaza». C’est l’intro du concert «Edward… chkoun?», tenu vendredi dernier à El Teatro.

Il s’agit d’un événement organisé par Haus der Kulturen der Welt (Berlin) et El Teatro (Tunis). Ce concert vient clôturer le workshop "Interpréter les Révolutions : Commentaires sur l'Histoire Spirituelle et le Futur des Soulèvements Contemporains", tenu jeudi 29 et vendredi 30 novembre. «Histoire spirituelle», c’est en référence à Edward Said dont l’intellect est souvent invoqué lors de ces ateliers de réflexion.  Après une entrée en matière avec Dj Nire, le journaliste Thameur Mekki, concepteur de d‘«Edward… chkoun?», présente les artistes au programme de la soirée. Il s’agit d’Armada Bizerta, Vipa et Checkpoint 303. Mais quel rapport entre ces artistes et Edward Said? 

M. Mekki explique : «Le rapport entre la pensée de Said et ces artistes est assez particulier. Des rappeurs comme Vipa et Armada Bizerta n’ont jamais lu un livre d’Edward Said. Mais ils partagent avec lui un certain regard décomplexé sur les rapports orient-occident, et une perception exacerbée de la résistance. C‘est comme si c’était le père spirituel et ses bâtards». Et il nous confie : «J’allais même intituler le concert Edward Basterds. Toutefois, Checkpoint 303 ont déjà rendu hommage à Edward Said avec leur morceau Edward Guevara».

Place à Armada Bizerta. Dj Nire leur sert le son. Le duo Ahmed Galai alias Gal3i et Malek Khemiri alias Malex s’emparent de la scène. Toujours aussi old school, toujours aussi hard core, ils interprètent un mix tonitruant. «Sound of the Police», «Mic Katana», «Free artivist» et autres s’alternent. Le combo rend hommage à la résistance à Siliana et appelle le public déchaîné à une pensée à Gaza. Les rappeurs bizertins ont également interprété «Mamnou3», un track en featuring avec Aymen Mghamis des Palestinian Unit pour rappeler que l’ambassade tunisienne à Ramallah lui a refusé sa demande de visa. Armada Bizerta enchaîne ensuite avec «Wini ma liberté». Khaled Bouhrizi alias Mr Kaz les rejoint sur scène pour présenter ce morceau inédit. «C’est de la KBBA», lance-t-il devant un public ravi par la surprise de retrouver ce rappeur vétéran de la scène underground tunisienne et originaire du quartier de Kabaria. «Si on veut contourner la barrière séparant actuellement la majorité des jeunes et le monde des livres, il faut utiliser les raccourcis. La musique en est un. Cela permet un contact, une familiarisation. C’est ce qu’on tente de faire dans Edward… chkoun?» commente Thameur Mekki.

La tempête provoquée par l’armada musicale a fini par s’en aller laissant ainsi la place aux rimes crues de Vipa. Le flow est subtilement entraînant. Parfois gras, voire même dégoulinant mais toujours saisissant et surprenant. Dj Nire entretient l’atmosphère en versant ses scratchs. Le jeune rappeur s’est fait accompagner pour l’occasion par Katybon, son prodige complice. D’ailleurs, les couplets de Vipa dans «Teskra», «Egleb» et «Tsarbia» ont été ponctués par la voix de Katybon. Le jeune artiste a même interprété «Rasta from the Kabba», son mordant remake de «Welcome to Jamrock» de Damian Marley.

Le concert s’est bouclé avec un set de Checkpoint 303. Appuyés par une performance visuelle assurée par VJ Carlos, les sons electro de SC Mocha ont secoué les murs d’El Teatro. Submergeant le public sous les bruits des révoltes arabes et du quotidien de la vie palestinienne sous l’occupation sioniste. La basse de Rodovan donne au cocktail sonore plus d’ampleur, plus de densité. Après 30 minutes, les rappeurs envahissent la scène l’un après l’autre. Malex ensuite Katybon, Vipa, Gal3i. Mehdi WMD et Chopper s’invitent. La musique s’arrête. La basse fouette le silence. Mr Kaz crache ses rimes.

Soufia Ben Achour

Crédit photo: Rafaâ Lahiani