Jeudi, 04 Octobre 2012 14:05

fleur-fusilComment favoriser une discussion apaisée entre des camps politiques distincts dont les membres se  considèrent les uns les autres comme faisant partie d’espèces «animales» différentes ?  Comment calmer les esprits alors que les épées sont dégainées au cœur de nos universités ?

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«En Tunisie, les décideurs politiques ou même les opposants sont dans une posture perpétuelle de déchainement réactif opposite. Entendez qu'au lieu d'être dans un débat constructif, ceux-ci ont tendance à sauter rapidement dans la contestation insultante de l'opinion adverse avec le souci unilatéral d'avoir raison et de mettre à terre leurs contradicteurs». C’est une observatrice tunisienne avisée, universitaire, professeur de français qui l’a relevé.

Il ne s’agirait donc pas de discuter, de débattre, mais d’écraser l’adversaire, le ridiculiser, de le jeter en pâture à l’opinion publique. Les réseaux sociaux, qui ont contribué à faire entendre la voix de la Révolution par delà la chape de plomb imposée par le régime Ben Ali, participeront à envenimer la situation. Les invectives fusent de part et d’autre. Les islamisants sont traités de «rats» (jerdhane, en arabe) quand les modernistes sont qualifiés de chiens, de mécréants. Dès lors, comment autoriser une discussion entre des camps politiques distincts dont les membres se  considèrent les uns les autres comme faisant partie d’espèces «animales» différentes ?  

Des groupes nationalistes arabes issus de la mouvance du Baâth, par exemple, ne reconnaitront aucune singularité tunisienne, aucune identité propre à la Tunisie, censée n’être qu’une région, une parcelle de la Nation Arabe monolithique. Une vision extrême qui autorisera et justifiera le gazage des populations considérées comme allogènes, à Halabja, en Irak.

A l’origine des mouvements d’extrême-gauche les plus importants de la scène politique tunisienne, se trouvent des partis qui se revendiquaient fièrement de l’héritage de la dictature albanaise sanguinaire d’Enver Khoja, et qui voyaient encore en Staline le «petit Père des Peuples» alors que le mur de Berlin s’effondrait déjà.

Les diverses mouvances de l’Islam politique galvanisées par la Révolution iranienne de 1979, c’est la chariaâ et non le multipartisme qu’elles réclamaient, quitte à faire usage de la violence la plus extrême. Ce n’est donc pas par hasard que les salafistes en général et les djihadistes en particulier en viennent à jouer les premiers rôles, alors qu’ils étaient présentés comme un épouvantail à fausse barbe avant les élections du 23 octobre. Et voici que les épées sont désormais dégainées au cœur de nos universités.

dialogueQuant aux «modérés» du RCD, au pouvoir avant la Révolution, et aujourd’hui disséminés à droite comme  à gauche, ils n’hésitaient pas à «gérer la situation» en préconisant le viol des opposants et de leur femme (islamistes et gauchistes étaient en ce temps-là sur un pied d’égalité), à torturer et à emprisonner à tour de bras pour imposer un calme précaire et un bâillon à la majorité. Or l’actualité récente a prouvé que ces vieilles recettes n’ont manifestement pas encore été tout à fait abandonnées. Et pour cause.

La revendication des Droits de l’Homme a pendant longtemps été reléguée au second plan par nos politiciens, et ce, de l’extrême-gauche à la droite religieuse la plus radicale. Pis : leurs visions du monde et de la Tunisie clairement antagonistes, ne se rejoignaient sur aucune plateforme commune et caractérisée par des règles du jeu démocratique unanimement acceptée, avec pour seule priorité le bien-être des Tunisiens. Les libertés, l’égalité citoyenne, n’auront été défendues que par quelques ONG, des îlots de lucidité dans un océan de rage et de rancœur.

Il aura fallu attendre 2005 pour que le collectif du 18 octobre, affiche pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie, des revendications de base défendue par toutes les familles politiques, pour une fois réunies dans une lutte commune contre la dictature. Tout juste sept ans, donc, alors que notre pays porte encore tout le poids d’une Histoire pas vraiment pacifiée.

La Tunisie a beau avoir été longtemps présentée comme un carrefour harmonieux des civilisations, les invasions successives ont suscité de très vives résistances, au point que certaines figures historiques aient adopté la politique de la terre brûlée en ultime recours. Les pouvoirs successifs eux-mêmes, de l’oligarchie de Carthage, aux Beys, n’auront pas hésité, à travers les millénaires, à passer les sujets récalcitrants et les minorités au fil de l’épée.

En somme, le refus de l’Autre et de la différence, pourraient s'expliquer par une peur panique ancienne et intériorisée, intégrée dans un inconscient collectif perturbé. C’est ainsi que l’on arrive à percevoir des concitoyens comme des Etrangers grimaçants, potentiellement menaçants.

En clair, la carte-postale touristique d’une Tunisie avenante, accueillante et tolérante, n’a fait qu’artificiellement camoufler une peur exacerbée de l’Autre, toujours perçu comme agressant, malgré le bouquet de jasmin qu’on lui tend. Une agressivité du reste toujours perceptible dans le vocabulaire «fleurie» des Tunisiens, dont l’intérêt s’est déplacé des stades aux nouvelles arènes désormais ouvertes de la politique politicienne.

Un lourd héritage, donc, guère propice au compromis, et qui ne rend pas aisé le dialogue apaisé entre «chiens» et «rats». Mais si la catharsis de notre classe politique s’éternise, à défaut d’être qualitatif, le grand saut risque réellement de nous plonger dans une fatale régression. Avec notre animalité aux aguets, qui nous attend au tournant.

Oualid Chine

Tunisie : Dialoguer entre «chiens» et «rats»
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