Les Tunisiens, de tous les horizons idéologiques donneront raison à Hamadi Jebali au moins sur un point : ils sont en effet déçus par leur calamiteuse classe politique. Nos concitoyens se sentent en effet de moins en moins représentés par ces dirigeants de tous poils, qu’ils ont appris à connaître après le 14 janvier.
Le chef du gouvernement démissionnaire, a eu des accents criants de vérité, dans son allocution du mardi 19 février, quand il a affirmé : «le peuple tunisien est déçu par son élite politique et il est impératif de rétablir la confiance». Mais pour rétablir la confiance, encore faudrait-il que l’on puisse réellement parler le même langage.
Et si le peuple et ses représentants politiques ne parviennent pas vraiment à nouer les fils du dialogue, c’est aussi dû au fossé des générations. 70,9% de la population tunisienne est âgée de moins de 40 ans, alors que les plus de 60 ans ne «pèsent» que 9,3% (selon le recensement de 2004). Le problème ? Nos principales figures politiques ont blanchi sous le harnais dans leur écrasante majorité. Sans que la sagesse ne coïncide nécessairement avec l’âge avancé.
Ainsi, Béji Caid Essebsi, fait-il figure de doyen du haut de ses 87 ans. Le président de l’Assemblée Constituante, M. Mustapha Ben Jaafar avec ses 73 ans, affiche une année de moins que le leader d’Ennahdha, M. Rached Ghannouchi, et ses 72 ans. La classe des sexagénaires est sans doute la plus fournie puisqu’elle compte le président de la République, Moncef Marzouki (68 ans), le dirigeant du Parti Républicain, M. Ahmed Néjib Chebbi 69 ans, suivi de Hamadi Jebali 64 ans. C’est dire qu’à côté, le secrétaire général du Parti des Travailleurs, M. Hamma Hammami, ferait presque figure de jeunot avec ses 61 ans.
De plus, la plupart de ces dirigeants politiques ont squatté les postes les plus importants au sein de leur parti respectif durant des décennies. Pas vraiment de quoi donner l’exemple de la démocratie et de l’alternance, ne serait-ce qu’à la tête de leur minuscule mouvement d’opposition.
Comble du paradoxe, cette tendance s’inverse dans des pays à la population vieillissante, mais à la tradition démocratique plus ancrée. Ainsi, quand Angela Merkel est nommée cheffe du gouvernement allemand en 2005, elle a tout juste 51 ans. Sans parler de Barack Obama, élu en 2008 président de la première puissance mondiale, à 47 ans.
Or les principaux acteurs de la Révolution Tunisienne, ceux qui l’ont menée de bout en bout, avant que les partis politiques ne s’en emparent le 23 octobre, sont avant tout des jeunes. Des étudiants, des chômeurs plus ou moins diplômés, qui aspiraient à prendre enfin en main leur destin. Ce sont eux, qui ont dégagé Ben Ali, réussissant là où nos politicards ont lamentablement échoué pendant des décennies. La jeunesse tunisienne a émerveillé le monde par sa créativité, son inventivité, et l’usage percutant qu’elle a fait des nouvelles technologies. Mais la génération de la Révolution a été écartée sans ménagement.
A l’inverse, notre classe politique gérontocratique, après avoir été écrasée dans son combat contre la dictature, paraît aujourd’hui tout aussi incapable de jouer correctement son rôle dans un contexte (semi)démocratique, que ce soit au pouvoir, où à l’opposition. Sachons donc tirer les conclusions.
Oualid Chine