Samedi, 04 Janvier 2014 00:17

Au-delà des motivations officielles scandées par les grévistes, y aurait-il des raisons cachées, que nos médecins refusent d’avouer ? Les Tunisiens sont-ils égaux face aux soins ? Combien de chance a un jeune de nos régions oubliées de devenir médecin ? Les études de médecine sont-ils une chasse gardée?

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Le mouvement de protestation initié par les médecins internes et résidents contre la loi sur les trois ans de travail obligatoire dans les régions de l’intérieur a franchi aujourd’hui un nouveau palier. La violente agression subie par le professeur Chokri Kaddour devant le ministère de la Santé publique a contribué à mettre le feu aux poudres, et prend d’ores et déjà des allures de symbole. Sauf qu’elle est loin d’avoir été l’élément déclencheur. Reste à s’interroger sur les motivations des contestataires.

Motivations officielles
Les médecins avancent deux arguments principaux, pour justifier leur contestation. Le premier est de nature juridique. Ainsi, selon le syndicat des internes et des résidents en médecine de Tunis (Sirt), le projet de loi 38/2013 décidé par le ministre de la santé, Abdellatif Mekki, «priverait les nouveaux médecins spécialistes du droit à l’installation dans le privé et leur imposerait un travail obligatoire de trois années». Le syndicat affirme ainsi que «ce projet de loi est contraire aux conventions de l’Organisation Internationale du travail signées par la Tunisie et en opposition avec le pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU».

D’autre part, les médecins grévistes dénoncent le manque de matériel médical dans les hôpitaux des régions de l’intérieur. Un médecin particulièrement actif sur les réseaux sociaux, (blog Boukornine) s’interrogera, «À quoi sert un cardiologue sans salle de cathétérisme et sans médicaments ? À quoi sert un pneumologue sans fibroscopie ? À quoi sert d'envoyer un médecin biologiste sans labo ? À quoi sert un gastroentérologue sans endoscopie» ? Or «à aucun moment», selon notre médecin-blogueur, «le matériel n'arrive» et, nos docteurs se retrouvent, selon lui, «à passer des mois ou des années à regarder avec impuissance des citoyens mourir bêtement».

A cet égard, des photos publiées sur les réseaux sociaux ont même exposé l’état de délabrement avancé de certains de nos hôpitaux tunisois. Qu’en serait-il alors dans les régions oubliées si même la capitale n’est pas épargnée? Mais le problème serait-il uniquement lié au matériel médical ? Quid du facteur humain ?

Médecine régionaliste
Dans une étude intitulée «Les inégalités régionales et sociales dans l’enseignement supérieur», l’économiste Mohamed Hédi Zaiem, ancien président du Comité National d’Evaluation de l’enseignement supérieur, met en exergue les disparités régionales, même quand il s’agit d’études en médecine.

Ainsi, il apparait que «sur les 1441 bacheliers orientés en 2010 vers les filières médicales (médecine, pharmacie, médecine dentaire) 206 proviennent du gouvernorat de Tunis, 197 du gouvernorat de Sfax, 150 de l’Ariana, 119 de Sousse et 111 de Monastir. A l’autre bout, la part de Tataouine n’est que de 3, celle de Zaghouan de 4, celle de Siliana de 7, celle de Tozeur de 8 et celle de Kebili 9».

Mais le nombre total de bacheliers n’est pas identique dans des régions différemment peuplé. Qu’à cela ne tienne. Le statisticien a tenu compte de ce facteur pour mesurer la probabilité qu’a un titulaire du baccalauréat d’accéder à une filière médicale. Au final, «un bachelier du gouvernorat de Tunis a 6 fois plus de chance d’accéder à ces filières qu’un bachelier de Siliana et 12 fois plus de chances qu’un bachelier de Tataouine».


Hôpital de campagne, à Haiti

Médecine de riches
Selon cette même étude menée par le professeur Zaiem, «les disparités entre gouvernorats cachent souvent des inégalités importantes à l’intérieur de chacun de ceux-ci». Ainsi, même dans le gouvernorat de Tunis, déjà privilégié, «la délégation de Tunis compte 23 bacheliers orientés vers les études médicales contre 1 seul pour la délégation de la Kabaria».

Encore des doutes sur l’extraction sociale de nos médecins? Selon ces mêmes statistiques, «un bachelier d’origine sociale aisée a 16 fois plus de chances d’accéder aux études médicales que son collègue d’origine sociale modeste».

En somme, le refus des médecins tunisiens d’exercer dans les régions, pourrait aussi s’expliquer par l’origine sociale de l’écrasante majorité de nos praticiens. Des représentants des classes les plus aisées de la société, et les fils des gouvernorats les plus favorisés, peuvent en effet craindre de se frotter à des conditions plus rigoureuses, celle de la Tunisie oubliée.

Cependant, dans le cadre de cette vive polémique, exacerbée par les tensions politiques, certains se plaisent à rappeler que des médecins occidentaux eux, n’ont pas craint de s’engager dans les zones de conflits comme au Biafra, au Nigéria en 1970, au Bangladesh, ou en Somalie, pour assurer, un minimum de soin, à des populations dénuées de tout, même dans les pires conditions.

Certes, l’exercice de la médecine n’est pas uniquement motivé par des considérations humanitaires. Mais vus sous cet angle, les médecins tunisiens, (dont la formation est payée par la collectivité nationale), et qui refusent malgré tout de se rendre dans d’autres régions de leur propre pays, pour une période définie, n’en sortent pas nécessairement grandis.

Oualid Chine

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