Dimanche, 21 Octobre 2012 19:06

tunisie-troikaTribune. Dans le maelström qui agite la Tunisie postrévolutionnaire, un drame et un événement méritent de s’y arrêter, car ils sont particulièrement symptomatiques du degré d'étiolement de la situation en Tunisie et du comportement incompréhensible des dirigeants de la coalition au pouvoir. Par Ridha Ben Slama.

La tragédie est le lynchage mortel infligé à un citoyen tunisien à Tataouine, relayée par une communication scandaleuse et pitoyable du ministère de l'Intérieur. Il fait suite à une période émaillée de déclarations incendiaires, d'agressions physiques commises contre des élus de l'ANC, des intellectuels, des artistes, des journalistes par des partisans et des nervis au service d'un parti au pouvoir dans une impunité totale. Rappelons-nous, ce sont les mêmes conditions et aspects dans lesquelles le fascisme a émergé en Italie, au Japon, en Espagne et le nazisme en Allemagne au siècle dernier. Les mêmes moyens d’action violents étaient employés : menaces et agressions en tous genres, assassinats sélectifs contre les opposants ou les gêneurs…

Comment ne pas surprendre dans cette politique désastreuse les germes de la dictature et du totalitarisme ?

La nécessaire neutralité de deux départements au moins : l'Intérieur et la Justice représenterait un garant pour s'assurer que les quelques mois qui restent à la transition se déroulent dans le calme. La nomination d'un nouveau Directeur général de la sûreté nationale pourrait être bénéfique si le poste de ministre était confié à une personnalité non partisane. M. Abdelhamid Bouzidi, qui était à la retraite depuis des années, avait occupé plusieurs hautes fonctions au sein du ministère de l'Intérieur sans se compromettre et, chose rare dans ce département, il jouit d'une très bonne réputation.

Quant à l'évènement, il s'agit de la Conférence de Dialogue National. "Cette fois-ci, ils vont faire le nécessaire sans contorsions" avions-nous pensé, nous Tunisiens si ingénus ! Eh bien, il faut déchanter. Nos gouvernants provisoires qui durent encore, régentés par Ennahdha, s'obstinent à nous démontrer leur indigence morale. Ils s'échinent à vouloir nous donner le sentiment qu'ils ont finalement consenti aux revendications combien de fois réitérées, de fixer un calendrier officiel et étayé quant aux impératifs de cette transition. Leur riposte fut un communiqué nocturne mitonné pour contrer une initiative combien salutaire. Un acte manqué ! Ils tournent ainsi le dos à une issue honorable et persistent dans leur jeu malsain. Par cette posture, ils ne sont parvenus qu'à embrouiller ce qui au départ était simple et clair pour les citoyens : se joindre avec un sens élevé des responsabilités et sans circonvolutions à la Conférence de Dialogue National et adopter la plate-forme proposée.

Comme à leur habitude, ils ont noyé le poisson, l'ont écaillé, vidé, empaqueté et maintenant … ils ont même l'intention de nous faire avaler une couleuvre ! Comme s'il suffisait de simuler la concession de ce qui est exigé depuis des mois pour que les citoyens tunisiens applaudissent et se laissent abuser ! Sinon, que signifie ce comportement inadmissible, d'Ennahdha notamment, qui cherche à dénaturer une initiative salutaire, par des manœuvres de basse politique destinées à l'entraver ?

Nos "islamistes modérés" sont-ils si simplets pour croire que les Tunisiens vont accepter leurs oukases et se plier à leurs verdicts après s'être fait marqués au fer rouge par une dictature abjecte et après l'avoir chassée avec autant de bravoure que de détermination? Pensent-ils qu'ils vont continuer à dispenser leurs dérisoires accommodements et à cultiver leurs diversions sans conséquences ? Croient-ils que la Tunisie est coupée du monde pour qu'ils en disposent à leur guise telle une prise de guerre ?

Cramponnés à une légitimité électorale volatile qui s'est graduellement pulvérisée par une gestion déplorable, ils se grisent par leur refus de s'amender. La planche de salut tendue par l'UGTT à un pouvoir à la dérive a été repoussée en recourant à des acrobaties sémantiques et des arguties fumeuses. Cette proposition annoncée depuis le mois de juin s'est imposée face à une situation intenable qui exigeait l'aménagement d'un espace commun à tous pour retrouver un minimum d'entente sur des questions vitales et poursuivre la marche du pays dans un climat plus serein.

L'objectif d'interpeller les actuels gouvernants sur l'achèvement de leur légitimité le 23 octobre 2012 ne vise pas à priver le pays d'institutions ou d'aller vers l'inconnu comme les propagandistes de la Troïka le prétendent pour dénigrer ce rappel de principe. Il cherchait à envisager une formule propre à assurer le prolongement cohérent de cette transition par la construction d'une légitimité consensuelle. Beaucoup de Tunisiens aimeraient comprendre comment on peut traiter avec un tel dédain, qui frise l'inconscience, la position quasi-unanime des partis politiques, des organisations de la société civile, de personnalités aussi respectées et qui font autorité dans leur domaine.

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Les dirigeants de la Troïka, bien que tiraillés entre eux, trouvent le moyen de tergiverser pendant des mois comme si le temps n'était pas compté et finissent par feindre l'acceptation des exigences requises pour couper l'herbe sous les pieds de cette initiative. Ils ont rejeté d'un revers de la main cette opportunité en faisant croire à ceux qui veulent bien admettre leurs finasseries que la question est résolue et qu'il n'y a plus de crise de légitimité ni d'engagements sur des points précis. La période exceptionnelle que nous vivons n'admet pas les tours de passe-passe ni les  manœuvres politiciennes de ce genre.

On en vient donc à constater que ces gouvernants ne se soucient pas de l'intérêt général dont ils ont la charge et qu'ils le négligent au profit de leurs intérêts partisans. Des politiques authentiques s'en soucieraient et évalueraient convenablement la complexité de cette étape transitoire à un moment crucial de l'histoire de la Tunisie. Ils se conduiraient de manière plus responsable en prenant le problème à bonne hauteur et en approuvant le rapport rédigé par la Conférence de Dialogue National puis en veillant à sa mise en œuvre dans les délais les plus brefs.

Les blocages à la prise de conscience par les gens d’Ennahdha sur ses nombreuses dérives et sur ce qui a mené à cette tragédie seraient-ils levés ? Ou bien, autrement dit : « L’ivresse du pouvoir qui a saisi Ennahda» (dixit Yadh Ben Achour  - Libération du 9 octobre 2012), se dissiperait-elle face à l’insoutenable tragédie  de Tataouine? Il faut l’espérer.

L’intérêt de la Tunisie exige aujourd'hui que les forces vives demeurent mobilisées et soient en état de tenir tête à toutes les tentatives rampantes d'installer une dictature, opposant ainsi une digue à l'insatiable appétit d'Ennahdha.

Parmi les métamorphoses, les vicissitudes et les rebondissements, il demeure un fil de soie aussi résistant qu'un fil d'acier. Il tient la Tunisie, lui évitant de se fragmenter. Ce précieux fil est préservé encore grâce à l'œuvre soutenue de femmes et d’hommes tels que ces citoyens patriotes lucides qui militent dans les organisation de la société civile et les partis politique de progrès pour montrer que rien  n’est encore perdu et que la raison et la pondération prévaudront contre l'aveuglement et les combats d'arrière-garde des décadents.

Quelque chose de nouveau est né en Tunisie et rien ne nous fera revenir en arrière, c'est l'attachement aux libertés. Alain disait : "Résistance et obéissance, voilà les deux vertus du citoyen. Par l'obéissance il assure l'ordre ; par la résistance il assure la liberté". Nous résisterons jusqu'à ce que nous puissions bientôt obéir à un pouvoir digne des objectifs de la révolution.

Ridha Ben Slama
Auteur de "Libertés fondamentales et mode de corruption des systèmes"- Editions Thélès- France – février 2010.

Tunisie : 23 octobre, la Troïka dos au mur
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