Mercredi, 24 Avril 2013 18:25

troika-tunisieTribune. Ce que les Tunisiens ne peuvent excuser, c’est de voir ces gouvernants temporaires céder au jeu de certaines parties étrangères et à leurs interférences, rompant avec une tradition diplomatique plus pondérée et plus soucieuse de la souveraineté et de l’indépendance du pays. Par Ridha Ben Slama

« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?
Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme.
Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes.»

Cette première strophe est tirée d’un hymne (écrit parMaurice Druon et Joseph Kessel) à la Résistance française durant l’occupation par les nazis. C’était l’appel à se réveiller après la peur et la douleur, c’était l’espoir qui renaissait. Malgré les particularités de chaque époque et la spécificité de chaque péril, le Chant des Partisans décrit une situation qui ressemblerait par certains côtés au processus vers lequel la Tunisie post révolutionnaire tendrait et les risques encourus, si la résistance et le combat que mène la société civile échouait à empêcher l’établissement d’un régime de nature wahhabite-mafieuse et collaborationniste à l’instar du régime de Vichy. L’Etat de Vichy était à la botte de l’occupant nazi, une collaboration plus ou moins voulue-subie, des institutions bafouée, l'arbitraire qui se substitue au droit... tant d’aspects qui pourraient correspondre à ce que la Tunisie risquerait de l »e devenir sans un sursaut combien salutaire.

D’aucun dirait : d’où vient cette impression insolite, partagée il et vrai par beaucoup de Tunisiens, de se sentir sous occupation depuis l’apparition dans leur vie de tous les jours des premiers symptômes occasionnés par les retombées de l’exercice « islamiste » du pouvoir ?

Il convient de rappeler pour ceux qui oublient vite que les Tunisiens ont vécu sous le joug d’un pouvoir supra-policier et mafieux. Les cicatrices de cette blessure sont encore vives, ce qui fait que ce peuple est ombrageux sur les questions touchant à ses libertés et à sa dignité, il sait deviner les prémices d’un nouveau protectorat. Les citoyens vivent au quotidien cette perception d’un envahissement, une agression d’un corps allogène qui bouleverse leur quotidien.

Pour comprendre les raisons de cette sensation invraisemblable, il faut signaler la subite éruption de la vague de « conversions » physionomiques et vestimentaires aux motivations multiples. Certains individus « se métamorphosent » par opportunisme, d’autres par banale crédulité et beaucoup de jeunes filles et de femmes par besoin de protection contre d’éventuels harcèlements de la part de ces redresseurs de torts auto-proclamés. La mode qui déferle défigure la fresque enluminée des rues et des lieux publics en Tunisie. Que rencontrons-nous : des faciès hérissés de poils, plus proches des hommes de la primitivité que des citoyens du 21ème siècle, des fronts timbrés par une prompte « zbiba » dont le diamètre s’étend à l’aune de la gravité de la tartuferie qui estampille le front de son porteur, des accoutrements empruntés du lointain pachtounistan ou du moyenâgeux wahabistan. 

L’épiphénomène qui donne cette impression d’invasion ne s’arrête pas au niveau du travestissement grotesque à classer dans le champ de la pathologie mentale, signe maladif d’une désorientation à la fois temporelle et spatiale. A l’affublement s’ajustent des actes intimidants et des injonctions éructées par des énergumènes dans une logorrhée bigote pervertie, rythmées par une violence verbale et physique débridée contre tout ce qui ne correspond pas à leur délire archaïque. Le dessein des marionnettistes en chef est d’instiller une peur diffuse dans l’ensemble du pays pour dissuader les résistances et imposer une docilité totale. D’ailleurs, combien de fois avons-nous entendu des citoyens désarçonnés par cette déferlante se demander d’où sortent ces créatures si décalées, comme si on n’était plus chez soi. Ce à quoi rétorquait un dirigeant islamiste « qu’ils ne viennent pas de la planète Mars » !

salafistes en Tunisie

Ce qui accentue cette image d’une occupation étrangère c’est un projet extranational en embuscade de la nébuleuse des frères Musulmans, à laquelle le parti Ennahdha est ancré, et sa démarche sinueuse pour le greffer en Tunisie avec l’assistance de ses auxiliaires politiques et ses supplétifs paramilitaires.

Il n’y a pas de meilleures preuves que la multitude de faits avérés, fruits amers de la politique menée par cette coalition depuis octobre 2012. Ce n’est pas un procès d’intention, les Tunisiens les avaient vus à l’œuvre. Ce qu’il faut relever surtout, c’est cette animosité, pour ne pas dire haine, vis-à-vis de tout ce qui distingue la personnalité tunisienne et son héritage moderniste. Les exemples qui démontrent cette hargne abondent, le drapeau tunisien déprécié sans réaction des pouvoirs publics, la fête de l’indépendance oubliée, un combat d’arrière-garde contre le Code du Statut personnel et les avancées pour l’émancipation féminine... Ces manquements ont été dénoncées par des journalistes et des politiques, l’un d’eux remarquait l’absence « du drapeau national dans la salle et l'affiche d'Ennahdha où les mots «Fête de l'Indépendance» étaient mis entre guillemets », cette conduite a interpelé les Tunisiens « qui persistent à croire que le parti islamiste au pouvoir cherche par tout moyen à ignorer l'histoire du pays et à en biffer certaines parties, notamment celle relative à l'œuvre de Bourguiba dans la lutte nationale et la construction de l'Etat moderne », et il conclut que c’est « une preuve du manque de ferveur patriotique des nouveaux maîtres du pays » (Kapitalis, 21 mars 2013).

Les commentaires sur cette attitude révisionniste et antipatriotique se multiplient comme ce chroniqueur avisé qui laisse éclater son indignation « Les islamistes et leurs alliés du CPR ont beaucoup de mal à aborder sereinement le passé de la Tunisie et à l’évaluer en fonction des critères objectifs. Ils ont beaucoup de mal à se débarrasser de la haine et de la rancune qu’ils ressentent envers ceux qui ont construit l’Etat moderne […]. Le peuple tunisien n’a pas eu sa fête du 20 mars parce que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ont un problème avec cette date. Ils font le pied de grue le 4 juillet à l’ambassade américaine pour fêter l’ « Independence day ». Ils se bousculent le 3 septembre dans l’ambassade d’un pays minuscule né il y a 40 ans, et certains n’éprouvent aucun embarras à s’afficher avec le drapeau qatari au cou. Quant à notre fête nationale, elle n’est pas digne à leurs yeux d’être fêtée » (L’Economiste Maghrébin, par Hmida Ben Romdhane 26/03/2013).

Les dirigeants de ce parti et leurs représentants au gouvernement ont confirmé durant leur exercice du pouvoir et à de nombreuses occasions qu’ils abhorrent cette Tunisie animée par la passion du progrès, qu’ils sont imprégnés d’une idéologie passéiste, qu’ils sont mus par le désir de régler des comptes avec l’histoire contemporaine du nouvel Etat Tunisien et avec ses grandes figures emblématiques dont le leader Habib Bourguiba. En résumé, les déclarations et les agissements d’une frange d’islamistes confirment un sérieux déficit sinon l’absence de sentiment d’appartenance à ce pays. 

Mais ce que les Tunisiens ne peuvent excuser, c’est de voir ces gouvernants temporaires céder au jeu de certaines parties étrangères et à leurs interférences, rompant avec une tradition diplomatique plus pondérée et plus soucieuse de la souveraineté et de l’indépendance du pays. La servilité constatée de ces personnages qui gouvernent face à l’immixtion pesante de certains Etats en totale divergences avec nos intérêts suscite la répulsion des citoyens et leur colère. Une crise économique et sociale parasitée par l’avidité de quelques rapaces gouvernementaux et constituant, couplées aux stratégies offensives de certains pays aux ressources abondantes et à l’argent facile, font que la Tunisie se retrouve face à un moment critique de son histoire, ce qui la rend plus fragile et plus exposée à ces manœuvres prédatrices. Or, s’il y a un sujet sur lequel les Tunisiens ne transigent pas, c’est bien celui de l’indépendance du pays. Ils refusent, après avoir franchis une étape déterminante dans leur histoire d’être obligés de se plier aux règles du jeu que d’autres établissent pour eux.

La ritournelle réitérée aussi bien par le président provisoire de la République que par le président de l’ANC sonne désormais creux devant les résultats de leur bilan de gouvernance. Pour justifier leur alliance hétéroclite avec ces islamistes prétendument modérés, ils déclarent aspirer à « aider à rapprocher les islamistes de la démocratie et des droits de l’Homme ». Cette thèse s’est révélée être une mystification destinée à justifier leur avidité pour le pouvoir, même au prix de leur discrédit auprès de l’opinion publique et le sabordage de la transition démocratique.

Cet « Islam modéré » qu’ils prétendent représenter et que des tuteurs étrangers se gargarisent à colporter n’a en fait rien à voir avec l’Islam ni avec la modération. Où est l’Islam dans les agressions téléguidées et/ou impunies contre des citoyens (artistes, politiques, universitaires…), contre des rassemblements de partis politiques ou des organisations de la société civile ? Où est l’Islam dans les procès d’opinion, dans le lynchage et l’assassinat des opposants ? Où est l’Islam dans le saccage de mausolées soufis, parties intégrantes du patrimoine architectural et de la tradition cultuelle tunisienne ? Où est l’Islam dans le reniement de la parole donnée, dans l’avidité pour l’argent et dans la corruption ? Où est l’Islam dans l’emploi de la fourberie, de la duplicité et de la traîtrise ? Ils ont prouvé, par leur gestion du pays durant des mois, que l'enseigne de l'islam qu’ils exhibent est utilisée pour n’abuser que les crédules. Ils se font passer pour les défenseurs de l’Islam alors qu’ils ne sont que ses faussaires, ils sont porteurs plutôt d’une idéologie restrictive de l’esprit, rétrograde, fascisante et de nature totalitaire.

Lorsqu’on réévalue le cheminement de cette seconde transition, on se rend bien compte que les coalisés de la troïka ont agi pour stopper net la dynamique créée par la révolution et par voie de conséquence ils ont provoqué une crise de confiance à l’égard des politiques dont il sera ardu de se défaire. Le président provisoire de la République et le président de l’ANC seraient appelés au moins à faire leur examen de conscience car il n’y a pas de quoi être fiers de leurs besogne.

Si Jean de la Fontaine considérait ce qui se passe en Tunisie, il aurait repris sa fable du charlatan et composé peut être un nouvel apologue qu’il intitulerait « Le charlatan et les deux blaireaux »… Suivez mon regard ! La morale de l’histoire serait que le charlatan même « modéré » finit toujours par être mis à nu et il ne manquera pas de subir le châtiment qu’il mérite alors que les deux blaireaux, ils seront les dindons de la farce et en plus le bon peuple ne les épargnera pas.   

Ridha Ben Slama

Auteur de:

Libertés fondamentales et mode de corruption des systèmes- Editions Thélès- France – février 2010.
Le Songe Massyle, Roman historique, TheBookEdition, janvier 2011.

Du même auteur sur Mag14:

 

Ce que les Tunisiens ne peuvent excuser
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