Tribune. Sans nier la nécessité de la démission du gouvernement, il faut se poser la vraie question que personne ne veut exprimer : si, comme cela semble le cas, les membres de l’ANC refusent de démissionner, s’arc-boutant à leur conception de la légitimité, qui les fera partir? Par Gilbert Naccache.
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Une première constatation s’impose : Ali Laârayedh était ministre de l’intérieur lors du meurtre de Chokri Belaid. L’enquête sur ce meurtre n’a fait que piétiner : aujourd’hui encore, alors qu’on nous dit que les assassins sont identifiés (grâce au second meurtre, celui de Mohamed Brahmi, qu’ils auraient perpétré), on ne sait pas en haut lieu (ou on sait et on ne veut pas le dire) qui sont les commanditaires de cet acte odieux et leur objectif.
Aujourd’hui, Laârayedh, à la tête du gouvernement, n’a rien fait pour que les fonctionnaires du ministère de l’intérieur fassent diligence. Ou plutôt, il a cru intelligent de recruter 6000 nahdhaouis dans les forces de police, qui semblent avoir une hiérarchie, une direction et des consignes particulières : l’ex-ministre de l’intérieur doit répondre, non seulement de cette décision, mais des agissements de cette police-bis, tout comme il doit répondre de l’existence et l’activité de ces services spéciaux parallèles, qui n’ont rien d’officiel, mais bénéficient des moyens du ministère de l’intérieur et que certains ont mis en cause dans l’affaire Chokri Belaid. Si les assassins de Mohamed Brahmi sont les mêmes que ceux de ce dernier, Ali Laârayedh, dont la démission est obligatoire, devrait également être poursuivi pénalement pour avoir entravé l’action de la justice, action que son collègue Noureddine Bhiri n’a guère accélérée comme ministre de la justice, et encore moins dans son poste actuel.
Le ministre de l’intérieur Ben Jeddou a complaisamment couvert l’enquête ostensiblement incomplète des services de police, il a laissé sans réagir les voyous déguisés en policiers et leurs complices des LPR agresser les sit-inneurs pacifiques du Bardo. On ne peut que se Joindre à la magistrate Kalthoum Kannou pour dire : «Qu’attendez-vous pour démissionner, Monsieur le Juge ?»
Si la responsabilité politique de tout le gouvernement et des Présidents de la république et de l’ANC est patente dans l’assassinat de Mohamed Brahmi, celle de Nahdha ne fait pas le moindre doute : par sa dénonciation hystérique des opposants, par les efforts qu’elle a déployés pour couvrir les agissements criminels des LPR, par les discours de haine, par son soutien à Sahbi Attig dont l’ANC devrait être en train de discuter le retrait de l’immunité parlementaire pour qu’il réponde de ses incitations à la violence et à la guerre civile, incitations qu’il a reprises le 28 juillet au soir au Bardo… Le mouvement islamiste doit se désolidariser de tous ceux qui, en son sein ou à sa périphérie, n’ont cessé d’œuvrer contre la démocratie : pour se maintenir comme un mouvement compatible avec la démocratie et la liberté, objectifs de notre révolution sociale et démocratique, ce mouvement doit rompre ouvertement avec son aile radicale antidémocratique et avec ses alliés salafistes et jihadistes.
Quant à l’opposition, qui n’est pas totalement innocente du climat qui a permis l’attentat meurtrier, il faut se demander si elle n’essaie pas d’utiliser la mort tragique d’un militant pour faire avancer ses revendications. La démission du gouvernement, la dissolution de l’ANC et la constitution d’un gouvernement de salut national ne sont pas le résultat de la réaction à l’assassinat de Brahmi, c’étaient déjà ses revendications auparavant.
Sans s’arrêter sur les discours ou les actes de ceux qui veulent remplacer le gouvernement par un autre, sans nier une seconde la nécessité de la démission du gouvernement, il faut se poser la vraie question que personne ne veut exprimer : si, comme cela semble le cas, les membres de l’ANC refusent de démissionner, s’arc-boutant à leur conception de la légitimité, qui les fera partir ? L’armée, comme en Egypte, ou le ministère de l’intérieur ? Le spectre d’une nouvelle dictature, de répression généralisée et de guerre civile se profile derrière cette demande de « démocrates ».
Arrêtons de jouer avec le feu, examinons les solutions viables et pacifiques. Oui , il faut un nouveau gouvernement, oui toutes les forces politiques non complices de l’ancien régime doivent y participer, sur la base d’un programme commun à arrêter le plus vite possible, programme qui aura pour objet de faire démarrer une politique de satisfaction des objectifs de la révolution, et plus spécialement la demande de travail du peuple. Au lieu de diviser le peuple et les mouvements politiques, au lieu de faire se dresser les uns contre les autres, disons non aux assassins, rendons confiance du peuple en l’associant aux décisions et en faisant de lui et pour lui un rempart contre toutes les aventures.
G. N