Lundi, 07 Juillet 2014 14:25

Tribune. Les Tunisiens ont de moins en moins confiance dans ceux qui veulent les diriger.Calmez-vous mesdames et messieurs les donneurs de leçons, la révolution est loin d'être terminée, et la farce électorale qu'on nous prépare  n'a pas pour objet de l’accélérer, mais au contraire de la freiner. Par Gilbert Naccache.

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Et voilà : les gens qui ne s'inscrivent pas sur les listes électorales sont les responsables de tous les maux de la Tunisie ! De toutes parts, on les courtise, on leur donne des leçons de morale, de politique, de citoyenneté, on les accuse de bloquer le processus démocratique, d'être responsables de la prochaine victoire du camp adverse, de ne pas vouloir prendre leurs responsabilités, de..., de... C'est très simple, quelque soit le résultat des prochaines élections – si élections il y a, on voit déjà des protestations contre d'éventuelles dérives les remettre en question – ce résultat sera considéré par les perdants comme devant être imputé aux abstentionnistes ; tout comme, aux élections du 23 octobre 2011, on avait reproché les 1 500 00 voix perdues, qui n'avaient pas servi à élire les uns ou les autres...

En somme, rien de nouveau sous le soleil, chaque candidat ou groupe de candidats aux élections a déjà le bouc émissaire, le responsable de son éventuel échec : les abstentionnistes ! Ces horribles non-citoyens – qui se trouvent souvent être les acteurs d'une certaine révolution qui a permis aux vitupérateurs d'aujourd'hui de lancer leurs invectives, du haut d'un pouvoir qu'ils n'ont occupé ou espèrent conquérir que « par défaut », parce que les révolutionnaires le leur ont laissé – ces inconscients donc, qui ne méritent pas les génies qui les dirigent, les super-compétents qui ont su résoudre tous les problèmes du pays, dont la direction nous fait aller vers des lendemains..., ces inconscients vont détruire tout le travail de ceux qui savent ce qu'il nous faut comme dirigeants : eux !

Il ne faut pas rêver, je n'arriverai, en parlant pour tous ces sans-voix, qu'à m'aliéner la sympathie de tous ceux qui considèrent les élections comme la panacée universelle, le véritable point de départ d'une société démocratique où tout sera possible... Ceux-là se contentent de belles paroles, d'espoirs illusoires, aux lieux et place d'une action de principe pour soutenir ceux qui, tous les jours, nous rappellent qu'aucune des grandes promesses de la révolution n'a été tenue, qu'on s'emploie quotidiennement à défigurer le sens de leur combat, à les calomnier, à remettre en cause, y compris par la violence et le spectre du terrorisme, les acquis de cette révolution, les libertés publiques, la parole libérée...

Pourtant, si sûrs qu'ils puissent paraître de la justesse de leurs principes démocratiques, ces principes que les sociétés modernes ont souvent mis des siècles à mettre en œuvre et qu'elles commencent un peu partout à remettre en cause, ils ne se semblent pas s'être posés la question qui devrait précéder tout jugement : pourquoi autant de Tunisiens ne paraissent-ils pas convaincus que c'est par des élections – on ne parlera même pas du mode de scrutin qui écarte de fait les candidats qui ne sont pas ceux d'un parti politique important – que l'on sortira le pays du marasme ? Pourquoi, par une participation massive à cette cérémonie, n'expriment-ils pas la confiance qu'ils ont dans tel ou tel parti pour porter leurs intérêts et les défendre ?

Ces citoyens inconscients, dont on se félicite de leur mobilisation en ces jours de révolution ou à qui on veut faire payer d'avoir fait tomber les aspects fondamentaux du régime de Ben Ali, ont-ils vraiment des raisons de faire confiance aux hommes politiques qui brigueront leurs suffrages ? Les ont-ils vus, au cours de ces trois années, se préoccuper réellement de leur situation, des revendications qu'ils n'ont cessé d'avancer, des problèmes quotidiens de leur survie, ne parlons même pas du progrès de leurs conditions ? N'ont-ils pas assistés, innocents dindons de la farce, aux manœuvres des uns et des autres pour parvenir au pouvoir, l'accaparer, en tirer divers avantages, essayer d'abattre les uns dans le seul but de les remplacer au nom d'idéologies qui ne semblent concerner qu'eux ? C'est grâce à la pression constante de ces « abstentionnistes », à leur mobilisation qui ne s'est jamais démentie, que ceux qui ont « grimpé sur le dos de la révolution » n'ont pas complètement trahi cette révolution, n'ont pas complètement capitulé devant une contre-révolution hargneuse, ignorant jusqu'au mot « démocratie » et espérant revenir au pouvoir par les élections.

Calmez-vous mesdames et messieurs les donneurs de leçons, la révolution est loin d'être terminée, et la farce électorale qu'on nous prépare  n'a pas pour objet de l’accélérer, mais au contraire de la freiner : enlever la légitimité au peuple combattant, aux masses mobilisées pour la révolution et la donner à des représentants de partis qui ont prouvé que ce qui les intéresse n'est pas cette révolution, que leur objectif commun est de promouvoir une société sans justice sociale et sans une réelle indépendance économique. Ceux de ces partis qui ont pu avoir des velléités dans le sens de la justice sociale ou de la recherche de solutions réelles, y ont vite renoncé, parce qu'ils ne conçoivent pas une autre façon d'agir qu'à partir d'un pouvoir qu'ils ne peuvent atteindre ou qu'ils sont obligés de partager avec d'autres partis ; la seule façon efficace est de s'appuyer sur les forces révolutionnaires, car on ne peut faire appliquer une politique révolutionnaire par un État dont l'appareil est profondément lié à la dictature et à ses méthodes.

J'ai eu l'occasion de dire que la société tunisienne est divisée, non pas entre ceux qui ont telle ou telle idéologie, mais entre la société politique, celle qui lutte autour ou pour acquérir le pouvoir politique, et la société des humbles, des révolutionnaires, de ceux qui cherchent, à travers les luttes pour la justice, la dignité et le travail, à transformer profondément de pays. J'aurais sans doute, malgré mes réticences sur le fond, participé aux élections si elles s'étaient déroulées selon un mode de scrutin uninominal, qui aurait pu donner des raisons à des représentants de la révolution de défendre cette dernière du haut d'une tribune où ils auraient pu être entendus. Mais, certainement pas devant ce mode de scrutin, choisi par des partis politiques pour assurer leur pérennité au pouvoir, et en exclure, non pas les gens de l'ancien régime, les protecteurs étrangers ne le permettent pas, mais les acteurs de la révolution : la société politique se reproduit en se rétrécissant, car elle écarte d'elle de plus en plus de gens. Les leçons, les menaces, les accusations de non-citoyenneté ou d'être la cause des problèmes n'y changeront rien : les Tunisiens ont de moins en moins confiance dans ceux qui veulent les diriger, ils ont raison.

Tunisie: Délit de non-inscription sur les listes électorales
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