Lundi, 17 Septembre 2012 00:30

usa-salafistes tunisieTribune. Les événements affligeants qui se sont déroulés vendredi dernier à l'ambassade US étaient tout à fait prévisibles. Ces derniers dix mois ont été rythmés par une série d’atteintes à l’intégrité physique des journalistes, des intellectuels, des artistes… Et le problème ne se pose pas en termes de texte de loi imposant le « respect du sacré ». Par Ridha Ben Slama

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“Quant à vouloir s’imposer à ses concitoyens par la violence, c’est toujours chose odieuse même si l'on se donne pour but de réformer des abus”.
 Salluste- Guerre de Jugurtha. III. Historiens romains, Gallimard, 1984, t.I. p. 670.


Je n’ai pas l’intention de traiter de ce brouillamini délirant au sujet du « film » provocateur anti-islam et ses répercussions démesurées orchestrées par ceux qui ont une lecture de l'islam complètement étrangère à cette religion. D’autres personnes se sont parfaitement chargées de démonter les ressorts de cette machine infernale qui s'échauffe de temps à autres avec les mêmes démonstrations ahurissantes.

ridha ben slamaContrairement à ce que certains gourous continuent à marteler, le problème le plus impérieux ne se pose pas actuellement en termes de texte de loi imposant le « respect du sacré ». Le nœud du problème est le recours de cette frange fascisante à une violence inhabituelle dans notre société d'une part et l’abstention des autorités de les dissuader et d’appliquer la loi contre ceux qui commettent ces actes répréhensibles d'autre part.

Il nous faut convenir que les événements regrettables et affligeants qui viennent de se  dérouler jeudi 14 septembre étaient tout à fait prévisibles. Ces derniers dix mois ont été rythmés par une série d’atteintes à l’intégrité physique des journalistes, des intellectuels, des artistes etc … Une énumération non exhaustive de ces violences nous laissent perplexes :

  • 9 octobre 2011 : Attaque des locaux de Nessma TV par les salafistes.
  • 21 octobre 2011 : Attaque du domicile du PDG de la chaine de TV Nessma par des salafistes.
  • 11 janvier 2012 : Agression contre Sofiène Ben Hamida.
  • 23 janvier 2012 : Le journaliste Ziyed Krichen et l'universitaire Hamadi R'Dissi ont été violemment frappés par un manifestant salafiste à la sortie du procès Persepolis.
  • 20 février 2012 : Mohamed Lazhar Akermi ancien ministre de l'intérieur se fait agresser (Béja).
  • 7 mars 2012 : Des salafistes portent des armes blanches à la faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba à Tunis, dont un enlève de drapeau Tunisien et agressent une étudiante.
  • 13 mars 2012 : Mahrane Soltani, jeune homme de 18 ans est agressé par des salafistes qui ont tenté de lui couper la main. Le porte-parole du Ministère de l’Intérieur a déclaré que la victime a un casier judiciaire vierge et n’est pas un voleur comme les rumeurs diffusées sur la toile réclament et a affirmé que les agresseurs appartiennent bel et bien à la mouvance salafiste (Jendouba).
  • 20 avril2012 : Jaouher Ben Mbarek en visite à Douz a été agressé par des personnes décrites comme des salafistes et des adhérents au mouvement Ennahdha.
  • 22 avril 2012 : L'Association de l'Action Civique de Kélibia (AACK), donne une description détaillée des incidents survenus à Kélibia à l'occasion de la conférence de Yousef Seddik.
  • 8 mai 2012 : Un guide touristique agressé près de la mosquée Sidi Ali Ben Saleh au Kef par un groupe qui compte 30 personnes se proclamant de la mouvance salafiste.
  • 25 mai 2012 : Le professeur Rejeb Magri, artiste est agressé par des salafistes (Le Kef).
  • 29 mai 2012 : La journaliste Zeineb Rezgui de l’Economiste Magrébin est agressée par un salafistes à la cité Al Intilaka, un vendeur ambulant portant le kamis, sans raison apparente et au vu de tous.
  • 1 juin 2012 : Lotfi Zitoun agresse une journaliste travaillant avec Nessma Tv.
  • 11 juin 2012 : Exposition saccagée par des salafistes au palais d’El Ibdilia.
  • 11 juin 2012 : Des salafistes et des repris de justice prennent d’assaut des institutions représentatives de l’Etat, notamment des postes de police au Kram et La Marsa.
  • 12 juin 2012 : Des groupes salafistes ont tenté d’incendier le poste de la garde nationale à la Manouba à Douar Hicher.
  • 12 juillet 2012 : Ahmed Néjib Chebbi est agressé par un groupe de six salafistes qui lui ont barré la route conduisant de Ghardimaou vers Jendouba le traitant de « mécréant » et « d’athée ». Ils l’ont roué de coups, ainsi que le chauffeur, qui a reçu un coup de poing au visage. Les six individus ont également lancé de grosses pierres sur le pare-brise de la voiture.
  • 14 juillet 2012 : Khalil Zaouia ministre des Affaires sociales  a été agressé par des individus appartenant au courant salafiste dans la région de Goubellat.
  • 6 août 2012 : Le Cheikh Abdelfath Mourou se fait violemment agresser par un salafiste lors d'un débat à Kairouan dont le thème était "Islam et tolérance".
  • 16 août 2012 : Jamel Gharbi conseiller régional socialiste des Pays de la Loire en France a été sauvagement roué de coups à Bizerte par des salafistes sous prétexte que sa femme et sa fille de 12 ans étaient, selon eux, trop légèrement vêtues !
  • 16 août 2012 : Attaque salafiste au festival Al-Aqsa, une manifestation de soutien à la cause palestinienne en présence de Samir El Qantar, ancien prisonnier politique libanais (30 ans dans les geôles israéliennes) et agressions.
  • 17 août 2012 : Des salafistes provoquent des troubles à Sejnane et Menzel Bourguiba, empêchant, notamment, l’artiste Lotfi Abdelli, de se produire sur le théâtre.
  • 24 août 2012 : Violente agression contre le poète Sghaier Ouled Hmed.
  • 25 août 2012Mohamed Hédi Oueslati un syndicaliste et poète a été agressé par des salafistes et transporté dans un état critique à l’hôpital.
  • 30 août 2012 : Agression des militantes de Nidaa Tounes lors d'une réunion à Menzel Chaker, gouvernorat de Sfax.
  • 1er septembre 2012 : Un restaurant touristique implanté dans la région de Raoued plage a été saccagé par des barbus appartenant à la mouvance salafiste.
  • 5 septembre 2012 : Près de 60 à 80 individus d’apparence salafiste ont pris d’assaut l’hôtel Horchani, ont agressé l’agent de sécurité qui a essayé de les dissuader, ils ont tout saccagé.

Sans parler des menaces de mort proférées par des individus appartenant à cette mouvance ou proche d'elle contre des chefs de partis politiques, des membres d'association de la société civile etc … alors que ceux qui semblent tenir les commandes ne daignent pas stopper efficacement le phénomène destructeur qui se propage. Comme si cette posture s’inscrivait dans une logique de calculs politiques malsains. Ne connaissent-ils pas le l’adage : qui sème le vent récolte la tempête ! Tant de voix se sont élevées dénonçant le « laxisme », pour ne pas dire la connivence, des gouvernants devant la montée de cette forme d'extrémisme fascisant et incriminant l’instrumentalisation de ces groupuscules salafistes.


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Il y a une autre dimension à cette violence qu’on avait crue disparue à jamais : celle de l´utilisation de la force au-delà des cadres institutionnels par les agents de l’Etat censés protéger et sécuriser les citoyens. Elle est d´autant plus insupportable et scandaleuse qu´elle semble confirmer que peu de choses ont changé avec la révolution et l’ébauche d’un ordre constitutionnel avant-gardiste. La fréquence de ces interventions policières musclées ne peut pas être séparée de l´extension de la délinquance politique, non seulement en raison de leur brutalité mais aussi du fait de l´utilisation illégale, aux limites de la clandestinité, d´un pouvoir dit légitime. Sans négliger l’expansion du sentiment d’impunité qui met la « Justice » en accusation.

Au lieu de se concentrer sur l’essentiel, à savoir bannir l’usage de la violence en mettant en place les procédures plus opérantes avec la rigueur appropriée, seul remède à la situation dans laquelle nous nous trouvons, des hiérarques théocrates continuent dans leur fuite en avant à exploiter cette « opportunité » pour nous ressortir l’exigence d’une loi sur le respect du sacré !

Avec ce qui vient de se passer à l'ambassade des Etats-Unis d'Amérique, un espoir ténu réapparait pour que les stratèges d'Ennahdha se réveillent et tirent les leçons de cette politique suicidaire pour eux et pour le pays. Sauront-ils se retenir de jouer aux apprentis sorciers en acceptant de revoir humblement leur copie dans une optique consensuelle ? Quant à l’administration américaine qui soutient les islamistes  dits « modérés » dans les pays qui ont défait leur dictateur, va-t-elle continuer à se rassurer que cet islam politique conservateur et rétrograde lui garantira la sauvegarde de ses intérêts ?

Si on veut véritablement mettre un terme à la violence des extrémistes, qui compromet le processus démocratique dans son en ensemble, ce sont surtout les têtes pensantes qu'il faut appréhender. L’échec patent de ce gouvernement provisoire à maitriser la violence de ses auxiliaires sonne le glas à sa fourberie politicienne. Est-ce que Ennahdha comprendrait qu’elle était sur une mauvaise voie et saurait définitivement conjurer la sous-traitance de la violence politique ? Que les responsables d'Ennahdha commencent d’abord par condamner fermement et sans détours ceux qui profèrent des discours enflammés appelant au meurtre et qui incitent à l’emploi de la violence contre des adversaires politiques ou tout simplement contre ceux qui ne correspondent pas à leurs « critères de dévotion" parmi les citoyens.

Aujourd’hui, une quasi-unanimité se confirme pour dire à la Troïka : cette situation ne peut plus se poursuivre sans plonger la Tunisie dans la tourmente et causer aux Tunisiens de graves préjudices irréparables.

Alors, vous qui tenez les rênes du pouvoir pour quelques semaines encore, vous portez la plus grande responsabilité devant l'Histoire, une très lourde responsabilité. Etes-vous capables encore de vous ressaisir avant le 23 octobre 2012 ? Aurez-vous l’intelligence de vous comporter en patriotes en admettant l’exigence d’agir avec toutes les forces vives de la Tunisie pour franchir ce cap chargé de tous les périls vers des horizons plus cléments ?

Ridha Ben Slama

Auteur de "Libertés fondamentales et mode de corruption des systèmes"- Editions Thélès- France – février 2010.

Du même auteur sur Mag14:

Tunisie : L’attaque salafiste était prévisible
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