Lundi, 27 Mai 2013 04:45

cinema tunisienOpinion. En quoi Abdellatif Kechiche, et surtout son film «La vie d’Adèle», couronné par la Palme d’Or au festival de Cannes, sont-ils tunisiens ? Ce long-métrage de trois heures, au cours duquel le spectateur est littéralement happé dans l’intimité d’un duo amoureux lesbien est-il représentatif de la culture tunisienne ?

Et si ce film a pu interpeler une société française marquée par la polémique sur le «mariage pour tous», et la loi promulguée qui autorise le mariage homosexuel en France, en quoi les Tunisiens devraient-ils se sentir concernés ?

Le microcosme culturel tunisien a pourtant été prompt à saluer ce film, et à se répandre en éloges dès l’annonce de l’attribution de la Palme d’or à Kechiche. Ferid Boughedir s’est fendu illico d’un article dans «Jeune Afrique», où il a aligné les superlatifs pour décrire l’œuvre du cinéaste franco-tunisien. Même si à côté des scènes torrides de «La vie d’Adèle», l’érotisme soft orientalisant du bain maure de «Halfaouine» paraît bien timide. Il n’empêche.

beznessLa prévalence  de la sexualité protéiforme dans le cinéma tunisien ne date pas d’aujourd’hui. La preuve ? Quand Kechiche était encore un illustre inconnu dans l’Hexagone, le réalisateur Nouri Bouzid lui avait offert un premier rôle à la mesure de son talent d’acteur dans «Bezness», en 1992 : celui d’un gigolo qui se prostitue au profit exclusif des touristes occidentaux en goguette en Tunisie. Et manifestement, on n’a pas cessé de creuser le même sillon sur nos plages de sable fin. Le même Nouri Bouzid ayant déjà exploité le filon de l’identité sexuelle et ses ambigüités, dès 1986, dans «l’Homme de cendres», où il était déjà question, d’homosexualité et de pédophilie.

Obsession des cinéastes tunisiens ?
Et depuis, nos cinéastes n’ont en effet eu de cesse de titiller les cinéphiles sous la ceinture.  En 2010, c’était au tour de le-fil-gay-tunisieMehdi Ben Attia de mettre en scène dans «Le Fil», les amours tourmentées d’un jeune homme qui préfère les hommes. Et qu’importe si dans un pays comme la Tunisie, où on produit à peine trois longs-métrages par année, la question paraît un tantinet surreprésentée.  

Ainsi, en 2011, le film «Histoires tunisiennes» réalisé par Nada Hfaiyedh, a fait le buzz avec l’histoire d’une femme qui découvre «accidentellement» l’homosexualité de son mari. Même schéma dans «Khochkhach» tourné par Selma Baccar en 2006, où, encore une fois, une femme frustrée fait face au désintérêt de son époux homosexuel. Nadia El Fani, elle, traitera de l’homosexualité féminine de manière elliptique, en 2002 dans «Bedwin Hacker». Et en 2012, Mehdi Hmili contera, dans son court-métrage intitulé «La Nuit de Badr», les tribulations d’un vieux poète homosexuel désireux de rompre avec son exil parisien pour rentrer en Tunisie après la Révolution.

Pour les besoins de la «cause», et dans un autre registre, on ne s’attardera pas sur «Satin rouge», un long-métrage où une femme découvre le plaisir troublant de la danse orientale devant les clients éméchés d’un bar, avant de coucher avec le fiancé de sa fille. Et l’on n’évoquera pas tous ces films tunisiens où l’on parachute allègrement des scènes «d’amour» pour pimenter une fadeur mortelle. A moins qu’il ne s’agisse de racoler des subventions européennes, voire même de décrocher, si l’actualité est propice, un prix dans un festival…

En somme, et malgré les apparences, Abdellatif Kechiche s’inscrit donc dans le droit fil de la «tradition» cinématographique tunisienne qui semble avoir fait des ambigüités sexuelles une spécialité.

En définitive, si nos salles de cinéma ferment les unes après les autres, et si les Tunisiens ne veulent plus voir les films tournés par leur compatriotes même en version DVD piratée, c’est sans doute parce qu’ils sont des «rétrogrades obscurantistes refusant la modernité». Et non parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans un cinéma totalement déconnecté de leurs réalités.

Moez El Kahlaoui

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