Sidi Bou Said n’a pas fini de se gausser de Sidi Bouzid. La blancheur bleutée du Baron d’Erlanger fait de sa pâleur diaphane une qualité. Ils sont de l’extérieur, «Minn barra», se permet-on de chuchoter. Entendez par là, hors des murailles historiques et de la grande porte de la hafside cité. C’est dire que nous contons les déboires notoires d’épidermiques inimitiés.
Une longue histoire d’escarmouches, de révoltes, et de Révolution. Les plus rétifs à ces étrangers de l’intérieur, lançaient mi-figue, mi-raisin, entre la poire et le fromage, qu’il faudrait leur demander un visa, pour qu’ils puissent entre nos murs débarquer. Comme si on n’avait pas tous le même droit aux joyeusetés de la capitale «civilisées».
Il n’est pas loin le temps où les rafles policières ciblaient les «gueules de bois», celles burinées par le soleil et qui affichaient par trop la couleur. Délit de faciès brun, condamné par les visages pâles aux origines importées de Circassie, d’Albanie, et d’autres contrées où on razziait les mamelouks et la domesticité du bancal cortège beylical. La suite on la connait, et on n’a pas fini de payer les contredanses salées des années de décadence cumulées.
Des remarques fusent, parfois, ici et là. Voici que les réseaux sociaux résonnent encore des sons de cloches ébréchées, déglinguées… Que n’a-t-on pas dit sur les Bani Hilal, les Bani Soulaym, et leurs dignes descendants. Que n’a-t-on déprécié la geste de la Jazia et sa beauté. Le hilali Bouzid s’en remet pourtant, guerrier de naissance et conquérant. Il ne défilera pas banderoles à la main devant les coupoles pleines. Il hurlera sa rage, ululera sa rancœur contre les silencieuses bouches pleines, qui se sont engraissées pendant un demi-siècle. Se repaissant de la chair de nos régions. Or la damnée silencieuse minorité se tait pour avoir trop mangé. La majorité, par le fer et le plomb écrasée, finira suffoquée, par le lacrymogène concentrationnaire étouffée.
Mais voici qu’on entend des accents «étrangers» à la télé. Voici que les revendications épiques des cités périphériques se font écouter. Celles-là même longtemps cantonnées hors des circuits touristiques balisés. Qui osera désormais exiger un visa pour les Tunisiens ? Nos morts qui ne sont pas morts se retournent dans leurs tombeaux de mots. Nos vrais héros, nos généreux généraux, nos poètes Chebbi, nos résistants Hammi, et autres Haddad libérateurs n’ont pas poussé bien loin des oliviers, des palmiers et de leur majesté.
La splendeur de Bab Souika, sublime nombril de notre monde et de notre capitale vivante, n’a-t-elle pas été patiemment façonnée par les déferlantes fertilisantes de nos contrées éloignées et à l’intérieur de nos terres repoussées ? Jusqu’à quand faudrait-il combattre les séides de la république bananière agonisante avec les régimes de nos dattiers ? Sur la tombe de Béchir Khraief, les fils de nos régions ont juré. Ils entonneront la geste d’El Jazia Hilalianne. Pour crever tous les abcès et les tympans de la citadine surdité.
Marwene El Gabsi